Depuis le VIIIe siècle à ce jour, l’île Maurice n’a cessé de susciter l’intérêt des puissances maritimes, politiques, commerciales et militaires du monde entier. Elle est certes un petit bout de terre volcanique posé sur l’océan Indien mais au fil du temps son positionnement stratégique l’a métamorphosé en véritable clé et étoile sur la Route des Épices, au carrefour de l’Asie et de l’Europe en passant par le Cape de la Bonne Espérance.

Ce petit point qui ne figure même pas sur certaines cartes du monde, devint pourtant une escale obligée pour les conquérants de la mer des Indes qu’écumaient les explorateurs, les navigateurs, les corsaires et les pirates dont les trésors seraient ensevelis dans des lieux secrets.

Les Arabes furent les premiers à imposer leur suprématie dans l’océan Indien en route vers la Chine dès le VIIIe siècle. Les Chinois s’intéressaient à l’époque davantage à tisser des liens diplomatiques avec d’autres pays.
Toutefois, l’île Maurice n’intéressa pas les Arabes qui se contentèrent de la nommer Dina Robin et l’utilisèrent essentiellement pour se ravitailler.
Les Portugais figurent parmi les premiers Européens à s’aventurer dans l’océan Indien. Vasco da Gamma fut le premier à passer le cap de Bonne Espérance et à atteindre les Indes en 1497. Ils accostèrent l’île au début du XVIe siècle et la baptisèrent Cirné, nom figurant sur les cartes en 1598 quand les Hollandais touchèrent ses côtes, poussés par un cyclone.
C’est surtout la possibilité d’exploiter les ports de l’île, idéalement placée sur la Route des Épices, qui les intéressait.

La période hollandaise (1598 – 1710) commença avec une escadrille qui débarqua à Grand Port (premier port de l’île avant Port-Louis et situé sur la côte sud-est) sous le commandement de l’Amiral Wybrand Van Warwyck. L’île fut alors nommée « Mauritius », en l’honneur du Prince Maurice Van Nassau, «Stathouder» de la Hollande. La tentative des Hollandais d’y établir une colonie échoua car ils furent découragés par la fréquence et le pouvoir dévastateur des cyclones.

Une belle opportunité s’ouvrait aux Français à l’abandon de l’île par les Hollandais en 1710 car la France avait déjà établi des comptoirs en Inde notamment à Pondichéry (1674) et à Chandernagor (1690) et souhaitait avoir un autre port d’attache dans l’océan Indien, surtout pour exploiter les épices provenant d’Asie et alimenter la cour du roi Louis XIV.
Mauritius, idéalement placée pour servir les intérêts du roi, fut une fois encore renommée en 1715. Sept ans plus tard (1722), les premiers habitants foulèrent le sol mauricien. C’était le début d’une colonisation qui allait marquer l’histoire de l’île.
Toutefois, il faudra attendre 1735 pour voir les transformations sous la gouvernance de Mahé de La Bourdonnais (né à Saint-Malo, ville bretonne jumelée à Port-Louis). L’île devint ainsi une base navale abritant des entrepôts pour faciliter le commerce avec l’Inde et des infrastructures terrestres. Il fit aussi construire un port à Le Camp, actuellement Port-Louis, et fit ériger le l’hôtel du gouvernement où fut transféré le Conseil supérieur, dont le siège se trouvait jusqu’alors à l’Isle Bourbon, aujourd’hui La Réunion.

L’océan Indien devint dès lors le théâtre de conflits qui deviendront récurrent entre les deux empires, Britanniques et Français qui se battaient pour les comptoirs indiens. Située à l’épicentre de ces batailles acharnées, l’Isle de France devint non seulement une escale incontournable mais surtout une base militaire disposant de tout un arsenal de guerre.
Au début du XIXe siècle, la France se concentre sur les guerres napoléoniennes et délaisse l’Isle de France qui devient un attrait pour les corsaires (dont Surcouf surnommé le « roi des corsaires ») qui écumaient les mers des Indes pour attaquer les navires anglais.

Les Britanniques étaient convaincus comme l’avait résumé Lord Chatham que tant que les Français auront l’Isle de France, « les Anglais ne seront pas les maîtres de l’Inde ».
Ces derniers usèrent une fois de plus leur fin stratège pour tenter de prend l’île d’assaut en novembre 1810. À l’issue de la bataille de Grand Port, l’Isle de France redevient Mauritius.
Une nouvelle page de l’histoire de la conquête de l’île s’ouvrait avec la colonisation britannique qui prit fin le 12 mars 1968 quand l’Union Jack fut remplacé par le quadricolore mauricien, après une lutte acharnée et de longues et laborieuses discussions, surtout la douloureuse excision de l’archipel des Chagos de sa matrice.
Il faut dire que l’attrait pour l’Orient remonte au IIe siècle avant notre ère et s’intensifia grâce à la Route des Caravanes que le marchant vénitien Marco Polo allait emprunter pour rallier la Chine.
La destinée de l’île Maurice était déjà tracée comme relais obligé pour les explorateurs et les voyageurs, les expéditions scientifiques et base de ravitaillement ou militaire sur tour à tour la Route des Caravanes – rebaptisée la Route de la Soie, la Route des Épices ou l’autoroute de l’information.
La Route de la Soie devint incontournable pour le transport de trésors de l’époque ; soieries, brocarts, épices, senteurs, porcelaines, céramiques et pierres précieuses.
Les négoces fleurissent alors que les marchandises sont acheminées de l’Orient vers l’Occident en passant par Venise et Gênes et après avoir transité par Damas et Alexandrie. La Route de la Soie qui s’étendait sur 6 000 kilomètres fut empruntée par commerçants chinois, perses, grecs, syriens, romains, arméniens, indiens, bactriens et sogdiens du Ve au VIIIe siècle après J.-C.
À l’époque, il n’était cependant pas question de faire blocage aux Arabes et aux Chinois ou encore de les considérer comme des envahisseurs car les trésors de l’Orient servaient les intérêts de l’Occident.
Car au-delà de l’aspect commercial et économique, la Route de la Soie a permis de riches échanges entre diverses civilisations, cultures, peuples et traditions. Elle a donné lieu à un dialogue des cultures et des religions, et à l’échange d’idées et de connaissances ayant abouti à l’âge de la découverte.
Au XXIe siècle la donne a changé avec, d’un côté, l’essoufflement de l’Occident surtout de l’Europe notamment les anciens empires, et de l’autre, l’émergence des pays asiatiques notamment la Chine et l’Inde.
Dans cette mouvance géopolitique mondiale, où les cartes sont rebattues, le centre de gravité se déplace vers l’est.

L’île Maurice redevient au centre de la géostratégie indiaocéanique alors que les anciennes et nouvelles puissances réactivent leur stratégie de conquête, cette fois-ci commerciale et militaire.

Il y a d’abord, la renaissance de cette route commerciale de la dynastie Han (206 avant J.-C.-220 après J.-C.), renommée la nouvelle route de la soie ou la Ceinture et la Route (stratégie aussi appelée OBOR – One Belt, One Road) qui nous renvoie aux voyages du Vénitien Marco Polo et du Marocain Ibn-e-Battuta en Chine au XIVe siècle. Cet ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires va connecter la Chine à l’Europe en passant par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni sans oublier le port de Gwadar en mer d’Arabie.
En investissant massivement dans cette ceinture économique terrestre et maritime version XXIe siècle, la Chine définit clairement sa stratégie multiforme et multidimensionnelle basée sur l’approvisionnement en énergie pour soutenir sa base industrielle.
Les pays concernés surtout d’Asie centrale comptent énormément sur ce projet qui est synonyme de développement économique et technologique. En contrepartie, la Chine garantit des sources d’énergie à ses industries et au secteur des transports (maritimes, terrestres, aériens) de même que l’élargissement de ses marchés d’exportation pour maintenir une croissance raisonnable.
En parallèle, la Chine investit énormément en Afrique depuis les dernières décennies surtout dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires.
Et, cela suscite les interrogations et les réactions des puissances émergentes comme l’Inde. La présentation du projet de corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) sur La Nouvelle Route de la Soie a accentué les tensions entre l’Inde et le Pakistan et la Chine, découlant du conflit du Cachemire qui date depuis la première guerre en 1947.
Ce projet de développement global qui s’étalera jusqu’en 2030 concerne la liaison du port pakistanais de Gwadar à la région du Nord-Ouest de la Chine via des autoroutes, des voies ferrées, des oléoducs et gazoducs et une liaison par fibre optique. Gwadar est ainsi un atout stratégique pour l’importation de pétrole par la Chine.
Le sous-continent indien réagit à ce méga projet de 2000 kilomètres qui redessine les contours géopolitiques en Asie et au-delà. Sa portée géostratégique et militaire dépasse les ambitions commerciales et économiques de l’empire du Milieu qui s’en sert pour asseoir sa force tranquille et son hégémonie.

Bordée par la Chine d’une part et le Pakistan de l’autre, l’Inde consolide son ses capacités de défense en consolidant ses escadrons d’avions de type Rafale. En 2016, après 15 années de tractation, l’Inde a signé l’achat de 36 avions de chasse Rafale construits par Dassault Aviation. L’Indian Air Force renouvelait ainsi avec une coopération basée sur la confiance datant de 1953, année à laquelle l’IAF s’est équipée d’avions de combat auprès de Dassault Aviation (de l’Ouragan au Mirage 2000 en passant par le Jaguar).

Cet investissement devenait urgent car en 2015, l’Inde ne possédait que 35 escadrons, de 18 appareils chacun, alors qu’il lui en faudrait au minimum 41 à 45 pour faire face à un conflit avec le Pakistan et la Chine.
Et, il semblerait que l’Inde jouerait son atout en se reposant sur ses relations solides avec l’île Maurice, qui abrite une importante diaspora indienne.
Même si un porte-parole indien a affirmé que l’Inde n’a pas l’intention d’établir une base militaire sur Agaléga (archipel de l’océan Indien, territoire éloigné de la République de Maurice, situé à 1 064 km au nord de l’île) et qu’il s’agit juste d’aider Maurice à développer les infrastructures sur « cette île pour de meilleures patrouilles dans cette partie de l’océan Indien », ce projet provoque toujours des remous voire des manifestations.

Si certains se posent des questions, d’autres réclament plus de transparence surtout que depuis des décennies Maurice réclame (résolution aux Nations-Unies et recours au tribunal international de la Haye) la restitution de l’archipel des Chagos après son excision du territoire mauricien en 1967 lors des discussions avec le Royaume-Uni sur l’indépendance de Maurice. Les Chagossiens qui y habitaient ont ensuite été exilés à Maurice car depuis les Britanniques ont conclu un bail aux Américains, qui y ont érigé une base militaire.

Les Mauriciens souhaitent à l’unanimité la résolution de ce conflit qui oppose leur tout petit territoire aux deux grandes puissances du monde, et la fin du calvaire des Chagossiens.
Bien évidemment les Américains et les Britanniques renvoient la balle dans le camp de l’autre dès que le dossier revient sur le tapis.
Entretemps, les Mauriciens se demandent :

  • Pourquoi les Américains quitteraient Diégo Garcia qui leur permet de surveiller la Chine, la Russie et surtout les pays du Golfe ?
  • Pourquoi la Grande Bretagne choisirait-elle de se mettre à dos les États-Unis alors que ce sont des alliés naturels surtout depuis le Brexit ?
  • Qui nous vient en aide parmi les pays concernés ?
  • Qui défend les intérêts de Maurice sur l’échiquier international ?
  • Qu’avons-nous appris de notre histoire qui est certes récente mais si riche à tous les égards ?

In fine, toutes les grandes puissances ont besoin de la clé et de l’étoile de l’océan Indien, toute petite soit-elle en termes de superficie !
Au XVIIIe siècle, Maurice alors l’Isle France, était une base militaire assurant le ravitaillement lors des conflits successifs entre les empires britannique et français pour asseoir leur hégémonie.
Trois siècles plus tard, notre pays doublement colonisé (compensé par notre brassage ethnique, culturel et surtout notre capital linguistique – avec l’anglais, le français et les langues ancestrales) avant d’accéder à l’indépendante demeure une escale essentielle sur la route du fret maritime et du transbordement, et surtout sur l’autoroute des télécommunications et de l’information (dès les années 90 avec l’installation de la fibre optique).
De la connectivité maritime en passant par l’aérien (du Piper Navajo à l’Airbus 350 et A330neo – Maurice ayant été le premier pays au monde à opérer les deux en simultané), l’île Maurice est entrée dans une nouvelle ère avec le projet de câble sous-marin de fibre optique régional, l’Indian Ocean Exchange Cable System, IOX Ltd.
Maurice comptera parmi les pays les plus connectés au monde grâce à ce réseau global qui viendra consolider le réseau international, SAFE. Ce projet comprend cinq phases : la première phase concerne l’interconnexion du Sud de l’Inde avec l’Afrique du Sud, avec un réseau qui va être déployé depuis l’île Maurice, la deuxième phase va relier l’île Maurice aux Seychelles et au Kenya, la troisième offrira un accès supplémentaire vers l’Asie du Sud (grâce aux câbles entre Mumbai et Singapour) et l’Asie du Sud-Ouest (grâce à une liaison avec Pondichéry), la quatrième phase consistera à étendre le réseau de East London à Cape Town pour rejoindre le système de câbles Seaborn, développeur-propriétaire-exploitant mondial de deux systèmes de câbles à fibres optiques sous-marins majeurs Seabras-1 and AMX-1, alimentés par les solutions Infinera, assurant une liaison directe les États-Unis et le Brésil. Enfin, grâce à ces moteurs optiques, et à l’achèvement du projet IOX, le Brésil sera connecté à l’Afrique.
Les projets de développement s’intensifient. Et, il faut accueillir et s’adapter au changement surtout quand il améliore le quotidien et assure un avenir prometteur pour nos concitoyens.
Toutefois, il faut garder en tête que notre peuple est également un atout majeur.
C’est ce qui a fait notre force depuis le 12 mars 1968.
De ce fait, il faut impérativement repenser le système éducatif pour éviter un nivellement vers le bas et préparer notre jeunesse adéquatement et efficacement au monde du travail en évolution permanente.
Une approche holistique mais transversale est nécessaire pour un plein épanouissement de nos jeunes en perte de repère ou dans l’incapacité de se projeter pour construire leur avenir.

En 53 ans, nous avons su bâtir une nation, transformer notre économie et notre base industrielle de l’agriculture (sucre, thé et produits de la mer) et du textile pour devenir une référence dans le secteur des services grâce notamment aux investissements dans les ressources humaines, les télécommunications et l’informatique dès les années 90, acquérir un savoir-faire surtout dans le domaine touristique qui a rendu légendaire et célèbre notre hospitalité et notre chaleur humaine.

À nous maintenant de consolider et pérenniser nos valeurs inestimables qui font la grandeur de notre patrie.
À nous de bien jouer notre carte dans l’intérêt de la souveraineté de notre pays et de l’héritage pluriel de ses enfants, y compris ceux lui faisant honneur et assurent son rayonnement et sa visibilité à travers le monde, en étirant ses contours géographiques.
On a certes changé de nom à différentes périodes de notre histoire mais on demeure un atout majeur dans cette partie du monde et bien au-delà.
Des amours de Paul et Virginie, à la Dame Créole en passant par l’idylle paradisiaque voire utopique de Mark Twain…
L’on a de très belles pages à écrire dans l’histoire de notre île riche grâce à sa diversité ethnique, culturelle et linguistique.
© Anuradha Deenapanray Chappard

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